Bonnes raisons de faire mal
Dans les arts martiaux, que ce soit lors d’exercices libres ou de kata, l’application de techniques douloureuses correspond souvent à la fin du combat sur abandon. En revanche, une situation de défense ou de combats guerrier, les enjeux et les risques sont bien plus grands, il n’y a ni règles ni arbitre, et rechercher spécifiquement à faire mal peut s’avérer inutile voire inopportun. Il semble donc nécessaire de déterminer clairement les objectifs que l’on cherche à atteindre. Il existe en effet beaucoup de mauvaises raisons de faire mal.
L’expression « faire mal » inclut ici, autant la possibilité d’effectuer des techniques répétées à l’entraînement, que des actions brutales instinctives, en fonction de la situation et du niveau de la personne.
Douleurs inefficaces
Rappelons tout d’abord que, faire mal, en soit suffit rarement. En effet :
- L’effet de la douleur peut être très différent en fonction des personnes.
- La déclaration d’abandon d’un agresseur ne donne aucune garantie réelle.
- Passée la phase de surprise, la douleur va rapidement diminuer grâce aux hormones et neurotransmetteurs naturels secrétés en situation de de stress.
- La douleur peut aussi être simulée.
De plus, faire mal peut parfois être contre productif par rapport à l’objectif recherché car :
- Une technique violente mal contrôlée peut provoquer un état de panique ou de rage chez un agresseur, le rendant encore plus difficile à contrôler.
- Une douleur due à une lésion effective ou ressentie comme effective, peut renforcer la volonté de combattre d’un agresseur passant du statut de prédateur à celui animal blessé.
- Certaines techniques douloureuses sont aussi des techniques mortelles ou gravement invalidantes.
- Faire mal peut donner une satisfaction à court terme, l’illusion d’une victoire, et ainsi empêcher de rester attentif à la globalité de la situation.
Il faut donc être très conscient de ces facteurs et éviter de chercher à faire mal de manière systématique, sans discernement, ou en se focalisant trop sur l’action en court.
Les techniques douloureuses doivent donc être envisagée dans le cadre d’une stratégie plus globale et d’une préparation préalable. Il est tout d’abord nécessaire d’avoir une idée claire de ses propres objectifs dans les divers types de situations de combat réel que l’on pourrait être amené à rencontrer. Fuir sans être blesser, protéger une tierce personne ou appréhender un agresseur sont, par exemple, trois buts très différents, qui peuvent se justifier en fonction des personnes et des situations. Que le choix technique soit conditionné à l’entraînement ou décidé en situation, c’est uniquement au regard des objectifs que l’on s’est fixés que l’on peut envisager le bénéfice à tirer d’une action douloureuse.
Trois raisons de faire mal
Il n’y a que trois raisons acceptables et utiles de chercher spécifiquement à faire mal.
Cela correspond, il me semble, aux trois lois de l’efficacité au combat définies dans le kendo et appelées « san satsu hô ». Cette expression peut se traduire par « trois méthodes pour affaiblir » [1] . Elle se déclinent en :
- ken o korosu ou tuer le sabre : face à une attaque ou un contrôle, perturber l’adversaire dans son action en provoquant une perte d’attention significative ou un mouvement réflexe qui doivent permettre de gagner le temps nécessaire pour reprendre l’initiative, d’augmenter sa marge de manœuvre, de conserver ou de retrouver sa liberté d’action.
- waza o korosu ou tuer la technique : le but est alors de contraindre l’adversaire à l’immobilité ou au contraire le faire se déplacer précisément comme on le souhaite en se mettant à l’abri de ses actions.
- ki o korosu ou tuer la volonté : il s’agit de provoquer une appréhension chez l’agresseur et l’arrêt de l’agression voire la fuite.
Les bonnes raisons de faire mal se résument alors à déstabiliser, contrôler ou dissuader.
Réalisme, détermination et contrôle
Toutefois, lorsque l’on se fixe un objectif, il s’agit de rester réaliste sur ses capacités réelles et son niveau par rapport à l’adversaire. Vouloir appliquer une technique de contrôle demande par exemple une grande expérience technique. En revanche, l’opportunité de mordre, griffer, écraser ou frapper une partie vulnérable se présentera souvent face à un adversaire imprudent. La détermination sera alors, sans doute, plus importante que la technique.
D’autre part, garder le contrôle par rapport à ses objectifs est tout aussi essentiel. Il est donc indispensable de pouvoir mesurer concrètement l’efficacité de son action, en se méfiant des cris ou expressions du visage, qui peuvent toujours être simulés. Seule la perception des mouvements du corps donne une indication réel puisse qu’en général c’est sur lui que l’on veut agir.
Le risque d’aller trop loin doit lui aussi, bien sûr, toujours être considéré. Il ne faut donc jamais perdre de vue que la douleur est un signal de danger et que de nombreuses techniques douloureuses peuvent mener à l’inconscience, la blessure ou la mort. Si dans certains rares cas de combat guerrier ou de survie, cela peut être nécessaire, utiles ou acceptables, en général ce n’est pas ce qui est recherché à travers l’usage spécifique de la douleur. Il est donc clair que les techniques les plus brutales ne peuvent être réservées qu’aux cas les plus désespérés.
De nombreuses écoles enseignent des techniques douloureuses. Rares sont celles qui expliquent pourquoi, quand, et dans quelles situations les appliquer.
Ce questionnement m’a donc paru nécessaire. Il en ressort quelques principes simples quant à l’application de techniques douloureuses en combat.
- Réfléchir au pourquoi, dans quels cas, et avec quels objectifs on s’entraîne à telle ou telle techniques.
- Rester réaliste et préférer saisir les opportunités plutôt que vouloir à tout prix placer une technique.
- Planifier son action dans le cadre d’une stratégie au regard d’une situation et la mener avec détermination.
- Etre capable de mesurer concrètement son efficacité tout au long de l’action.
- Et surtout, ne pas chercher à faire mal pour faire mal, ni se laisser emporter par des émotions telles que la peur, la colère ou la vengeance.
Ce dernier point est sans doute le plus délicat à mettre en œuvre, même lorsque l’on est persuadé de l’importance du contrôle en situation martiale. S’imaginer, par exemple, dans la situation où une personne que l’on aime, serait menacée ou victime de violence, permet de prendre, un tant soit peu conscience, de cette extrême difficulté.